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Les membres de la communauté Guildeur réalisent beaucoup d'interviews sur le progrès social dans le monde du travail (notre chaîne podcast).
Le progrès social, cette notion qui a animé nos prédécesseurs jusque dans les années 1980 où les progrès sociaux ont été rebaptisés en “acquis”, comme si le “progrès” ne pouvait pas aller plus loin. Pourtant, l’Union Européenne structure les effort toujours nécessaires pour atteindre une “Europe sociale forte, équitable, inclusive et riche en perspectives” au travers de 3 grands axes de progrès dont découlent 20 chantiers toujours actifs au sein de la Commission :
Le télétravail est-il un de ces progrès sociaux “modernes” auxquels aspirent les actifs?
Dans son premier livre Les trois mondes de l'État-providence (1990). Gosta Esping-Andersen présentait le principal progrès social occidental comme la mise en place des systèmes de protection sociale entre 1880 et 1914 dans la dynamique nationaliste de l’époque. Des systèmes qui ont été améliorés progressivement en termes de justice sociale pendant des décennies, sous l’impulsion de forces politiques diverses suivant les pays et les cultures, comme la démocratie chrétienne et la social-démocratie. Des systèmes de protection sociale qui sont loin d’être parvenus à un modèle social idéal et qui fluctuent ou même reculent dans les conditions de société post-2000 selon l’équipe de recherche de G.Esping-Andersen. Cela nous semble important de rappeler à tous les Européens que ce chantier reste ouvert pour l’Union et qu’il n’est jamais terminé, comme en témoignent les discussions difficiles concernant les départs à la retraite. En France comme ailleurs.
Le télétravail dans ce contexte renvoie aux deux autres axes de progrès social de l’Union Européenne. L’égalité des chances et l’accès au travail par exemple pour des personnes qui ne peuvent accéder aux grandes métropoles ou supporter leur coût de l’immobilier ou des personnes qui sont dans une situation personnelle rendant difficile une activité quotidienne de 9:00 à 18:00 depuis un lieu d’entreprise. Des conditions de travail équitables à la fois concernant l’environnement de travail proprement dit comme pour l’enjeu de longs transports, ou le fait d’être aidant de malade, de personne âgée ou parent d’enfant jeune.
Au fil des quatre dernières décennies, le télétravail a été tantôt d’abord un sujet politique d’aménagement du Territoire, ou un sujet de gestion d’entreprise et d’optimisation de coût immobilier, ou de manière croissante depuis 2000 une aspiration du salarié pour améliorer son quotidien tout en gardant accès à l’emploi…. Mais en quarante ans, toutes ces parties prenantes ont rarement été motrices pour le développement du télétravail simultanément.
Le progrès social : seulement quand tous les acteurs impliqués en tirent un bénéfice direct?
Le progrès social a certes les actifs (du stagiaire jusqu’au dirigeant) pour principaux bénéficiaires, le bénéfice étant souvent seulement “secondaire” (réputation, activités de bienfaisance, contribution citoyenne) pour les autres parties prenantes (actionnaires, clients et fournisseurs, partenaires, puissance publique).
Or tant que le bénéfice recueilli reste secondaire pour certains acteurs décisifs, la motivation est insuffisante de la part de ces acteurs pour s’investir volontairement dans une avancée sociale. C’est-à-dire, une amélioration sociale tangible pour un groupe humain qui donne aussi l’espoir d’une amélioration future pour d’autres personnes autour de ce groupe.
Cette avancée n’est mise en œuvre le plus souvent que sous la contrainte, comme c’est le cas pour le travail à distance durant la crise sanitaire 2020-2021. Elle n’est pérennisable en progrès social que si cette avancée apporte (aussi) un bénéfice direct pour toutes les parties prenantes impliquées, celles qui décident, paient ou réalisent.
Pour la différence entre “concerné” et “impliqué”, je renvoie à cette vieille chanson enfantine concernant le cochon et la poule dans l’omelette au lard. C’est plus parlant que le RACI.
Télétravail : les conditions d’un progrès social enfin réunies?
Dans le contexte actuel de l’arrêt du télétravail obligatoire depuis le 1er septembre, il devient possible de mesurer l’avancée sociale des jours de télétravail accordés entreprise par entreprise. Avant la crise sanitaire, 56% salariés étaient désireux d’obtenir des jours de télétravail (source : Malakoff Humanis), alors que seulement 3% des entreprises avaient un accord collectif en 2017 (et 13% des entreprises signaient des avenants de contrats individuels au gré à gré, source DARES).
Seulement 8% des salariés pouvaient “durablement” en bénéficier pour une moyenne de 1,4 jours souhaités … même si 22% de salariés en bénéficiaient sans contractualisation ou de manière occasionnelle.
Durant la crise sanitaire, jusqu’à 41% des salariés ont été en travail à distance de leur bureau, pour une moyenne de 3,6 jours / semaine, la moitié d’entre eux n’ayant jamais télétravaillé auparavant (source : 4ème baromètre annuel du Comptoir de la Nouvelle Entreprise Malakoff Humanis).
86% de tous ces salariés souhaitent continuer à télétravailler de manière durable avec au moins 2 jours hebdomadaires. En 2020, ce sont ainsi 2.000 accords collectifs autour du télétravail qui ont été signés contre 1.100 en 2019 qui était déjà en augmentation depuis l’assouplissement du code du travail sur le sujet en 2017 (source : info-socialRH).
Quel est le bénéfice principal durable pour les entreprises et les actionnaires?
Dans le cas du télétravail, CapGemini (source : from remote to hybrid) estime que l’intérêt économique pour l’entreprise se décline sur les 3 ans à venir entre :
Il semble donc que les conditions soient réunies pour que le télétravail puisse devenir un progrès social durable.
Télétravail : “chacun sa route, chacun son chemin” . Quel est le vôtre?
Certes, de nombreux salariés sont déçus de ne pouvoir en profiter à hauteur de leurs attentes/espoirs de 2020… et ce progrès devra, comme la protection sociale, atteindre un certain équilibre de justice sociale au sein de la population active française entre celles et ceux qui peuvent ou non en bénéficier, celles et ceux qui ont “besoin” de plus du fait de leur situation personnelle, celles et ceux pour qui télétravail va rimer avec délocalisation et perte d’emploi.
Pour la communauté Guildeur, les récits d'avancées sociales réalisées se déclinent en itinéraires de progrès à rendre visibles. Ces itinéraires connectent le bénéfice d’avancée sociale obtenu avec l’amélioration en termes de performance économique soutenable réalisée pour l’établissement et pour d’autres parties prenantes : publiques (ruissellement économique pour le territoire local), ou privées (conditions contractuelles plus favorables pour des partenaires économiques tels que fournisseurs, financeurs, clients).
Pour que vos réussites servent à d’autres. Pour mesurer l’écart de justice sociale à résorber, essayons ensemble d’estimer comment s’équilibre la balance de bénéfices dans votre organisation en fonction du nombre de jours de télétravail possibles désormais et du bénéfice pour l’entreprise.
4 questions pour situer votre organisation en termes de justice sociale dans la mise en place du télétravail? Le mini-questionnaire est ICI.
Guildeur s’associe à la démarche de tous les acteurs qui plaident et œuvrent pour une meilleure Justice Sociale afin de rendre la vie de notre société soutenable, stable et pacifique. Si vous estimez que la situation dans votre entreprise est criante d’une injustice entre salariés : racontez-nous pour que la communauté vous aide à trouver un chemin d’amélioration!
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